Une gueule de bois avec Mac

Petite histoire d’une salade inespérée. A lire en écoutant l’album « Salad Days » de Mac DeMarco


Ce matin, tu as une sacrée gueule de bois. Tu es sorti hier soir et tu as exagéré. Encore une fois. Tu maudis les shots de Tequila que tu as ingurgités en fin de nuit – inutile. Ton estomac refuse tout contact supplémentaire avec le monde extérieur. Un orchestre balkanique organise une fête géante dans ta tête – aspirine et canapé. Tu te prépares à traverser cette journée comme un fantôme, à la rayer de ton calendrier, à faire comme si elle n’avait jamais existé – merde.

Ton regard se pose alors sur le dernier album de Mac DeMarco, oublié sur la table du salon : « Salad Days ».

Ce titre sonne comme une étrange promesse de jours meilleurs. Tu insères le disque dans ton lecteur et tu appuies sur play.

Mac DeMarco, c’est un peu le meilleur ami que tu n’as jamais eu. Celui qui, en ces lendemains de doutes et de remise en question, joue de sa vieille guitare à 30 dollars, avachi dans le canapé. Une cigarette aux lèvres, il chantonne de sa voix parfaitement cool ses mélodies simples, lumineuses, immédiates. Multi-instrumentiste surdoué, hyper créatif, faussement nonchalant, son son de guitare si particulier donne une texture unique à ses morceaux. Et l’effet est immédiat.

Dès les premiers accords de « Salad Days », Mac te prend par la main et t’entraine loin, très loin de tes soucis, de ta gueule de bois et de ton salon.

Spend some time away, getting ready for the day

Tu es maintenant étendu nu dans un champ de coton. Mac te glisse à l’oreille : Calm down, sweetheart, grow up. Tu fermes les yeux, tu respires. Au fil des mesures, de nouvelles nuances apparaissent, de nouvelles sensations te caressent doucement. Tu es perturbé, mais il est trop tard pour reculer : à coup de vibratos répétés, Mac DeMarco, tel le Kaa de Walt Disney, t’a hypnotisé.

Take it slowly Brother

Let it go now, Brother

Take it slowly, Brother

Let it go

Pendant une demi-heure, il te fait découvrir un monde étrange, psychédélique, merveilleux. Un monde où les peines amoureuses disparaissent dans une délicieuse mélancolie. Un monde où on écoute Donovan sur un vieux lecteur cassette. Un monde où le temps se dilate, ralentissant les battements du cœur. Un monde où personne ne s’inquiète de sa coupe de cheveux. Un monde où chaque problème a sa solution.

Mac termine Jonny’s Odyssey et te remercie, avec la voix la plus détachée du monde, d’avoir voyagé avec lui.

See you again soon.

De retour dans ton salon, tu te lèves du canapé et tu te diriges vers la cuisine.

Tu te prépares une salade.


Discographie

  • Rock And Roll Night Club (2012)11183_JKT
  • 2 (2012)
  • Salad Days (2014)
  • Some Other Ones (2015)
  • Another One EP (2015)

 

 

https://macdemarco.bandcamp.com/album/salad-days

Photos Credits : Captured Tracks – Mac DeMarco

Perdu dans la jungle

Une petite histoire à lire en écoutant l’album « Jungle » de Jungle


Ce matin, vous faites les 100 pas chez vous. Vous tournez en rond, les muscles tendus, les pensées sombres. Vous vous sentez comme un lion en cage, sans vraiment savoir  pourquoi.

Vous sortez. Vous marchez. Des tours, des immeubles, du béton, du bruit, des files de voitures, des foules de passants, … Vous respirez difficilement. Vous mettez vos écouteurs sur les oreilles et vous cliquez.

Right on time, back by the beach.

Le bruit des vagues qui ouvre le premier album du collectif londonien chasse peu à peu votre impression d’étouffement. Les sirènes de la ville se mêlent aux nappes de claviers et se noient dans la chaleur étouffante de ce début d’après-midi. Des percussions tropicales répondent à une boite à rythme.

Une musique hybride dans une ville en mutation.

Vous vous laissez guider, porté par le courant d’une foule pressée. Bring the heat. Vous longez un boulevard, fleuve urbain chargé de voitures. Bring the heat. Deux hommes se jouent de la circulation sur de vieux patins à roulettes et tournent au coin d’une rue. Bring the heat. Vous les suivez.

Don’t let it catch you

Répondant à l’appel funk de la basse, votre rythme s’accélère. Derrière vous, vos pas laissent une trace dans le sable blanc qui recouvre maintenant les rues. Vos muscles se détendent. La foule se dissipe, les patineurs patinent.

Des oiseaux multicolores volent entre les tours, poussant des cris qui font taire les moteurs.La ville, si forte et fière 20 minutes auparavant, succombe sous les assauts de la Jungle. L’appel à la révolte est lancé.

It’s calling on me

If what I see is true

Votre mal-être s’efface en même temps que la ville.  And It’s magic. Are you strong?  répètent les choeurs anonymes. Vous suivez toujours les hommes à roulettes, encourageant la mue de votre quartier. Un troupeau de zèbre remonte la rue, ignorant les feux de circulation. Les patineurs tournent brusquement sur leur droite, dans une ruelle serpentant entre deux bâtiments. Vous hésitez.

Are you strong?

Aujourd’hui vous l’êtes. Fort comme un lion. La ruelle débouche sur une esplanade de verdure. La ville a disparu. Le bruit aussi. Au centre de cette clairière, un groupe de personnes vous regarde fixement, en silence. Soudain, répondant à un signal invisible, ils commencent à bouger. Lentement. Gracieusement. Tel un seul homme, ils dansent au milieu des herbes. Le spectacle vous coupe le souffle. L’instant d’après, vous êtes parmi eux. Et vous dansez, vous dansez.

You think that all your time is used

Too busy earnin, you can’t get enough.

Au milieu de cette jungle, vous dansez.

Too busy earnin

Vous dansez

It’s time.


Discographie :

  • Jungle (2014 – XL)
    jungle-artwork
    Design Phil Lee

     

Une musique luxuriante, humide et chaude(…).Tout en suavité et en maniaquerie, ces Londoniens rénovent en profondeur la soul anglaise. Les Inrocks

http://junglejunglejungle.com/

Crédits photos : Jungle – XL (label) – Oliver Hardlee Pearch

Une nuit avec Sharon

Petite histoire de lucioles et de Mustangs. A lire en écoutant l’album « Are We There » de Sharon Van Etten


Every time the sun comes up, I’m in trouble

La fenêtre de la voiture ouverte, tu joues au bras-de-fer avec le vent. La lune éclaire une petite route sans fin serpentant dans une plaine dégagée. Tu roules à vive allure. Droit devant, jusqu’à la panne sèche. On t’a sérieusement écrasé le coeur et les espoirs qui s’y étaient attachés. Fuir est ta solution. Elle l’a toujours été.

Even when the sun comes up, I’m in trouble

Par pur plaisir, tu fais durer ton combat avec le vent. Maitriser l’affrontement te fait du bien. Tu fuis le soleil qui expose ta peine en pleine lumière. Tu fuis les voix aussi. « Tu mérites beaucoup mieux », « Ça n’aurait jamais pu marcher de toute façon ». Malgré la vitesse, elles s’accrochent à toi. Dissonantes dans leur envie d’être justes. Affaiblies par leur besoin d’être fortes. Tu dois les faire taire. T’isoler du monde. Panser tes plaies. Et tu sais ce qui va t’y aider. Une nuit avec Sharon. Sharon Van Etten.

arewethere.lpout

Presque gênée d’être là, assise au cœur de ton intimité, Sharon est sur le siège passager. Sourire timide aux lèvres, cuir sur la peau, peur de rien. La nuit lui va si bien. Elle allume l’auto-radio. La musique emplit l’habitacle de ta vieille Mustang. Pianos et guitares forment un doux écrin dans lequel Sharon se blottit. La lune brille et éclaire son visage lorsqu’elle se tourne vers toi et dit :

Hey man, tricks can’t wait to hear my emotions

La voix de Sharon possède la magie des choses qui ne mentent pas. D’une simple mélodie, elle réduirait au silence un pub de Temple Bar un 17 mars. People say I’m a one-hit wonder. Oui, c’est une virtuose de l’amour, Sharon. Cette voiture, ce soir, avec elle, est le refuge dans lequel tu soignes tes certitudes meurtries. Ses mots font écho aux tiens. Son histoire est la tienne, celle de tous les cœurs amoureux.

You told me the day

That you show me your face

We’d be in trouble for a long time

Sa voix se multiplie, entourant la voiture d’un cocon d’harmonies d’une justesse troublante. Tu te loves dedans à cœur perdu et tu lui dis tout. Les fautes inévitables, les trahisons, les espoirs perdus, la douleur lancinante, le besoin de fuir loin de tout. Sharon aussi a vécu cela. Elle comprend. Elle sait.

Don’t you think I know

You’re only trying to save yourself?

Just like everyone else

Un bruit de moteur à ta gauche. Une autre voiture, un autre cœur brisé, une autre Sharon. Une voiture à droite. Puis une troisième, qui te dépasse. Un coup d’œil dans le rétroviseur. Une multitude de phares. Une constellation de cœurs brisés. Des lucioles perdues, en fuite.

 I can’t wait til we’re afraid of nothing

Tu rabats ton bras violemment. Fin du combat. Tu écrases la pédale de frein, tu braques le volant. Demi-tour au milieu des lucioles effrayées.

And you decide

Vers le lever du soleil.


Discographie

  • Because I Was In Love (2009)

    idontwant
    Photo by Eric Ryan Anderson
  • Epic (2010)
  • Tramp (2012)
  • Are We There (2014)
  • I Dont Want To Let You Down EP (2015)

« Because in all its pain and brutality, what her music offers ultimately is hope. There is defiance in her catharsis. This is a survivor’s music, not a victim’s.” The Observer

http://www.sharonvanetten.com/

Photos Credits Sharon Van Etten – JagJaguwar

Kevin, anxiolytique en costume

Petite histoire d’un mariage sauvé par un ange en costume élimé. A lire en écoutant l’album « Singing Saw » de Kevin Morby


En costard noir par 35°C, tu assistes au mariage de ta soeur. La réception a lieu dans les jardins chics d’un  grand château. Il y a du monde. Et du bruit. Tu trouves la robe de ta soeur complètement démodée et son mari potache mais gentil. Il y a 1000 endroits où tu préfèrerais être.

« Qu’est-ce qu’ils sont beaux! » – Ta tante, joviale hippie qui croit qu’une civilisation hyper évoluée vit dans des pyramides inversées sous terre. Destroyer

« Ils ont de la chance avec le temps » – Un cousin, qui a fait de la banalité un art superbement maîtrisé. Destroyer

« Un verre de champagne, Monsieur? » – George, l’ancien « boy » ramené du Congo par ton grand-père colon. Toujours au service de la famille.  Destroyer

« Merci » – Toi, dégoulinant de sueur, rêvant de tuer en toute impunité, ingurgitant ton énième verre pour fuir cet endroit anxiogène.

Destroyer      Destroyer

Tu t’apprêtes à trouer les pneus du fauteuil roulant de ta grand-mère (son habituel « Mais tu aurais pu aller te couper les cheveux avant de venir quand-même » t’a passablement énervé) lorsqu’un chant divin se fait entendre. Tu crois d’abord à une hallucination auditive due au soleil et au champagne. Puis tu le vois. Un grand blond en costume élimé, cheveux longs et bouclés. Un ange. Un ange du nom de Kevin Morby.

singing saw.jpg

L’ange blond est un Américain natif de Kansas City. Il a une guitare et il écrit des chansons. Il chante avec un accent à couper à la scie. Sa musique est belle et naturelle, sans anicroches ni superflu. Il a une telle classe que tu en oublies même qu’il s’appelle Kevin.

Have you heard my guitar singing

As it rises from the earth

And the company it’s bringing

Is beautiful and nothing worse

Chaque note te fait l’effet d’un Xanax. Tu te décrispes. Tu as une conversation correcte avec le nouveau copain de ta cousine Agathe. Il lit Musso mais tu t’en fous. Parce que derrière, Kevin continue à te charmer. Tu n’entends pas les propos fascistes que ton beau-frère martèle bruyamment. Parce que derrière, Kevin continue à jouer.

Thought I saw a singing saw cutting down a willow

Après t’avoir fait dandiner la tête, l’ange blond s’est attaqué à ton déhanché. Il tente maintenant de prendre les coins de ta bouche en otages. Il te regarde droit dans les yeux (ou n’est-ce qu’un mirage?) et tu sens un sourire fendre de plus en plus largement ton visage. Mamie a fait un malaise, mais tu t’en fous, parce que Kevin continue à dérouler ses arpèges. Un flot continu d’ondes positives.

Then I saw the singing saw singing after me

« Il fait du bien aux chakras ce garçon» , te souffle ta tante joviale et hippie. Ça t’embête de l’avouer, mais elle n’a pas tort. Tu as envie de courir pieds nus dans du gazon gorgé de rosée, de faire des cumulets avec ta grand-mère tétraplégique, de proposer un massage à ton beau-frère fasciste et de réciter du Rousseau au copain de ta cousine Agathe qui lit Musso.

Well I lose my mind sometimes

Kevin Morby a fini. L’ange blond a déserté la scène. Il est sans doute reparti au paradis. Tu regardes autour de toi. Elle est jolie ta soeur dans sa robe finalement très élégante. Tu la félicites et, dans un clin d’oeil complice, souhaite bon courage à son tout neuf mari. Tu es mielleux et joyeux. Mais tu t’en fiche, Kevin Morby continue de résonner en toi.


Discographie

  • Harlem River (2013)

    harlem river
    Photo by Joyce George
  • Still Life (2014)
  • Singing Saw (2016)

“Kevin Morby’s superb third album is the sound of a man gently losing his mind to music and not caring that much at all.” – UNCUT

deadoceans.com

 Photo Credit : Jessica Pratt